PERSONNALITÉ

Martin Blaser

Achats de matières premières bio

«C’est une année spéciale, y compris sur le plan international.»

Martin Blaser

Spécialiste en durabilité, Martin Blaser est responsable des achats de matières premières bio chez Swissmill depuis février 2021. Auparavant, il était Senior Business Development Manager pour les bananes à la fondation de commerce équitable Max Havelaar (Suisse) de 2004 à début 2020. Pendant neuf ans, il a également été gestionnaire produits pour ce fruit tropical auprès de l'organisation faîtière Fairtrade International. Les projets opérationnels et stratégiques pour les bananes étaient au cœur de ses missions. Il était en outre l'interlocuteur principal, tout au long de la chaîne de création de valeur, des agriculteurs aux détaillants. Des stages effectués il y a des années ont déjà tracé son orientation professionnelle, par exemple en tant que collaborateur de projet au service Durabilité de Coop. 

Sa carrière s'appuie sur un large spectre de formation: d'abord un apprentissage d’employé de banque, puis une maturité en économie comme seconde formation et enfin un master en sciences de l’environnement à l’EPF de Zurich. En poste, il a complété ses compétences techniques notamment par une formation post-grade en gestion des entreprises (MAS ETH MTEC «Management, Technology, Economics»). En dehors du travail, il aime passer du temps en famille et avec ses amis. Il s'intéresse également au unihockey, à ses projets de rénovation et aux voyages.

Bio, wagons, partenariats et récoltes

Martin Blaser est le nouveau responsable «Achats de matières premières bio» de Swissmill. Au cours d’un entretien avec le Kornmagazin, il nous explique ce qui le fascine dans la minoterie sur la Limmat et les sujets et défis qui façonnent son travail.
Martin Blaser – à l’arrière-plan, ancien et nouveau: le silo de céréales rouge classé, datant de 1924, dont l’intérieur est régulièrement modernisé. À droite, la halle aux grains, qui a été mise en service à l’automne 2016, s’élève à 118 mètres. Photo: Mischa Scherrer

Monsieur Blaser, vous travaillez chez Swissmill depuis février 2021. Comment se sont passés vos débuts? 

Martin Blaser: L’entreprise est particulièrement variée et passionnante. Je n'ai donc pas encore une vue d’ensemble de tous les détails. Une brève introduction ne suffit pas. J'ai été bien intégré et je reçois le soutien nécessaire. Cela m’aide à être en mesure d'accompagner dès le départ la nouvelle année céréalière, qui démarre le 1er juillet.

Auparavant, vous avez travaillé pendant 16 ans au service de l’ONG Max Havelaar. Qu’est-ce qui vous a incité à changer de poste?
Avant Swissmill, je m’occupais de l’organisation des relations commerciales équitables dans le domaine des bananes, c’est-à-dire dans l’agriculture tropicale. La possibilité de financer des performances de durabilité concrètes et contrôlées pour compenser la défaillance du marché me semble toujours un défi passionnant. J'ai été comblé par ma mission chez Max Havelaar et j'ai connu de belles réussites. C’est toujours intéressant quand on trouve où le bât blesse grâce à des contacts intenses au sein d’un réseau de producteurs et de différents acteurs commerciaux possédant des objectifs différents, afin de concevoir des solutions. Cela signifie parfois aussi engager des combats pour accompagner les résistances face aux changements et obtenir des améliorations. Dans la vie, on se demande parfois quels sont nos propres objectifs. J'étais prêt à assumer de nouvelles fonctions mais je prévoyais d'abord une année sabbatique pour 2020.

Comment s’est déroulée l’année? 
Au lieu de la formation et des voyages prévus, la situation a été bien différente à cause du coronavirus: je me suis consacré à la scolarité à la maison de notre fille et à la rénovation de notre ancienne résidence secondaire, où j'ai isolé le toit, repeint des murs, retiré des revêtements de sol avant d’en poser de nouveaux.

Avant votre arrivée à la minoterie, aviez-vous un lien avec Swissmill?
Je vois la halle aux grains depuis la fenêtre de ma cuisine, j’habite dans le quartier depuis 20 ans. Mais avant ma prise de poste, je n’étais encore jamais entré dans les locaux. Même pas en haut de la halle aux grains, alors que j’avais fait du lobby pour sa construction au sein de ma famille lors du vote. En effet, la minoterie historique a sa place ici dans le quartier industriel. D'ailleurs, j'aurais trouvé ça vraiment spécial si la tour avait été un peu plus haute, de sorte que le plus haut bâtiment de la ville de Zurich n’aurait pas été un immeuble de bureaux, comme dans la plupart des autres villes, mais un grenier. Tout le monde mange du pain; il faut donc des céréales, dont une partie est idéalement stockée près du moulin.


Base pour la production

Qu’est-ce qui vous fascine encore?
Ce qui m’attire particulièrement ici à la minoterie: mon poste ne se résume pas aux achats; les marchandises sont la base de la production. Il est question de matières premières et de technologies, et de répondre aux besoins des clients en termes de qualité ainsi qu’à la disponibilité des produits malgré des réalités de culture fluctuantes. Mon travail est fortement lié aux analyses, à l’assurance qualité et à la minoterie. Je trouve très intéressant de collaborer avec différents domaines.

J'ai pu découvrir Coop il y a des années, en tant que jeune diplômé, au cours d'un stage de six mois. Plus tard, en tant que responsable dans le commerce équitable des bananes, j'étais souvent en contact avec les acheteurs du commerce de détail, et en particulier avec Coop, qui mise sur le bio et le commerce équitable. J’étais par exemple régulièrement dans leur mûrisserie de bananes, où des problèmes étaient analysés. L’entreprise, qui est le principal partenaire de Max Havelaar, établit une référence en termes de développement durable: la part de bananes portant le sigle du commerce équitable s'élève par exemple à près de 90% de l'offre totale de bananes chez Coop. Swissmill étant une division de Coop, j’ai tout naturellement décidé de postuler lorsque j’ai vu cette offre d’emploi.


Trains de céréales

Vous êtes aujourd’hui responsable de l’achat des matières premières bio portant le bourgeon. Qu’est-ce qui compte pour vous dans ce domaine?
Sur le plan organisationnel, la halle aux grains avec sa vaste capacité de stockage est essentielle pour la production des produits de meunerie. Mais les wagons que je vois arriver à la minoterie sont tout aussi importants pour moi. Ils apportent les matières premières, les céréales pour nos moulins. Je viens de l’arrière-pays bâlois. Quand un beau matin, en rentrant de sortie, j'ai vu passer pour la première fois un train de marchandises sur l’Escher-Wyss-Platz après le début de mes études à Zurich, je me suis demandé où j’étais tombé. Ce train de marchandises de plusieurs tonnes roulant au pas a eu un effet surréel sur moi. Aujourd’hui, comme vous le voyez, le train a une toute autre signification pour moi. 95% de nos céréales arrivent par wagons.

95% de nos céréales arrivent par wagons.

Martin Blaser


Qu’est-ce qui vous tient à cœur dans votre travail?
Il s'agit avant tout de fabriquer de bons produits. De nombreux éléments entrent en ligne de compte et il faut souvent coordonner des solutions. En tant que nouveau dans l’entreprise, j’essaie de comprendre, j’observe parfois les choses avec un œil neuf et je demande pourquoi c’est ainsi. Je pense que ce regard de l’extérieur est aussi enrichissant pour l’ensemble. 

En observant votre parcours, le développement durable semble être un fil rouge tout au long de votre carrière. Jusqu’à il y a peu, commerce équitable dans le domaine des bananes, maintenant achat de céréales bio.
C’est exact. Mais en termes de manutention, les bananes sont différentes des céréales: on ne peut pas les stocker, le processus doit donc être fluide et est assez intense. À la minoterie aussi, il y a des contraintes, de nombreux rouages sont imbriqués, ce qui requiert beaucoup d’organisation, pour que les clients reçoivent leurs produits comme d'habitude.


Entretenir les relations

Quels thèmes font partie de votre travail quotidien?
Il s'agit essentiellement de planifier correctement, en tenant compte des besoins des clients, des conditions du marché et de la production. Les questions principales sont: De quoi avons-nous besoin? Quels sont les prix? Quand achetons-nous? Comment la marchandise nous parvient-elle conformément à l’agriculture biologique? Cela signifie que je m'occupe non seulement de la logistique mais aussi des contrats de livraison, des accords de qualité et de quantité.

La fiabilité est particulièrement importante dans le domaine du développement durable.

Martin Blaser


Nous achetons en nous appuyant sur notre expérience et, en fonction de nos besoins, parfois nous devons aussi nous réapprovisionner pour garantir la disponibilité et les stocks nécessaires. En matière de prix, il n’y a pas de quartier. On ne peut pas dire: on s’est trompé dans nos estimations, on ne peut pas livrer. Bien sûr, on veut acheter au meilleur prix. C’est une exigence qui fait partie de l’A.D.N. d'un acheteur. Mais on ne fait pas une fixation sur l’offre la moins chère. C’est ce que j’ai appris à mon poste précédent, lorsque j’étais de l’autre côté de la table des négociations lors de la collaboration avec Coop. La fiabilité est particulièrement importante dans le domaine du développement durable. Nous entretenons les partenariats, sans papillonner, nous connaissons nos fournisseurs et ne voulons délaisser aucun partenaire.

D’où proviennent les céréales pour les moulins de Swissmill?
Nous achetons bio (quand ce n’est pas en Suisse) essentiellement en Autriche, pour des raisons historiques, mais nous avons quelques autres partenaires européens. En 1993, au lancement de Coop Naturaplan, lorsque peu de céréales bio étaient encore cultivées en Suisse, Swissmill a initié un partenariat d’importation avec des producteurs autrichiens du bourgeon bio.

Dites-nous-en plus sur les sortes de céréale que vous achetez comme matières premières bio pour Swissmill.
Le blé tendre, l’épeautre et le seigle en tant que céréales panifiables proviennent essentiellement de la production suisse lors d’une année céréalière normale. Le blé dur pour la fabrication de pâtes provient d’Autriche ou d’Italie, parfois aussi du Canada. Notre maïs vient exclusivement de la plaine du Pô, au nord de l’Italie. Une catégorie en pleine croissance est l'avoine bio, qui est plutôt cultivée dans des climats nordiques. Il y a dix ans, l'avoine était principalement cultivée comme fourrage en Suisse. Les choses ont changé. Les ventes d'avoine suisse dépassent désormais celles du seigle.

Vous vous réjouissez de la croissance de la culture d’avoine suisse?  
C’est une chance pour les agriculteurs locaux. Premièrement, parce que l’avoine est très bonne pour la qualité du sol. Elle est considérée comme un assainissant, qui s'intègre parfaitement dans la rotation des cultures. Mais la progression de l’avoine dépend aussi des conditions topographiques et climatiques, on ne peut pas cultiver n'importe où. Deuxièmement, l’avoine est aussi intéressante pour l’alimentation humaine, sous forme de flocons pour le muesli mais aussi pour les boissons à l’avoine, nouveau produit tendance, qui est littéralement sur toutes les lèvres. On ne sait pas combien de temps durera la vague actuelle de boisson à l’avoine. Mais aujourd’hui, il n’y a pas assez d'avoine bio suisse. Cela constitue un test pour Swissmill et bien sûr pour l'agriculture suisse: À quelle vitesse peut-on réagir aux tendances? Faut-il produire ce qui est demandé? Dans l'optique de la récolte 2022, des incitations ont été créées pour encourager la culture suisse d'avoine.


Transports par bateau

Vous dites que la majorité des céréales arrivent chez Swissmill par rail. Qu’en est-il du transport par camion ou bateau?
Nous n’achetons qu’une petite partie de notre blé dur bio outre-Atlantique, au Canada. Les livraisons se font par des porte-conteneurs jusqu’à Anvers, puis le long du Rhin jusqu’à Bâle et de là par camion jusqu’au moulin. Parfois, nous utilisons aussi des bateaux depuis l’Autriche, mais il n'y a presque aucun navire de vrac, qui transporte exclusivement des céréales bio. Dans restes de céréales conventionnelles constituent un risque de contamination croisée. Les trains et les camions sont beaucoup plus faciles à nettoyer. Dans tous les cas, il faut différents itinéraires et moyens de transport. Cela pose problème quand tout doit passer par camion lors du blocage des lignes ferroviaires. Ou quand les faibles niveaux d’eau empêchent le transport par bateau ou que les bateaux ne passent pas sous les ponts à cause des crues. Il faut combiner différents modes de transport, même si nous privilégions le train pour des raisons de logistique et de développement durable.

Printemps sec, été pluvieux, orages de grêle et rafales de vent: les conditions climatiques de cette année mettent à rude épreuve l'agriculture et les moulins. Qu’en est-il de la récolte de céréales 2021, qui vient d’être faite?
C’est une année spéciale, y compris sur le plan international. Les pertes de qualité et de quantité causées par la météo posent problème à différents degrés en Suisse: pour le blé bio, la perte de récolte s’élève à près de 30%. L’épeautre bio a connu d'énormes pertes de récolte sur le plan régional, d'autres régions ont été moins touchées. Au total, nous enregistrons une baisse de près d’un tiers. La récolte de seigle bio a baissé quant à elle de 90% cette année. Comme l’épeautre, l'avoine bio a malheureusement connu une mauvaise récolte dans certaines régions, en raison des orages de grêle qui ont fait de gros dégâts. Grâce à nos partenaires principaux autrichiens de longue date, l'approvisionnement reste assuré, y compris au vu de cette récolte. Dans certains segments de produits, on ne pourra répondre que de manière limitée à la demande croissante pour les produits suisses.


Équilibrisme

Qu’est-ce que cela signifie pour Swissmill?
Notre minoterie est un acheteur fiable et important de céréales panifiables bio suisses. C’est réjouissant quand la production bio nationale se développe. L'agriculture est soumise à des influences naturelles, contrairement à une production de vis, on ne peut pas l'arrêter ou la démarrer quand on veut et on ne peut pas définir non plus le niveau de qualité à l’avance. Mais il y a aussi des agriculteurs à l’étranger. Il faut des solutions partenariales, pas seulement sur le papier, mais en entretenant les relations plutôt que de les activer selon les besoins. D'un point de vue de l’approvisionnement et de la qualité, je trouve qu’un seul appui sur les céréales suisses au sens de Swissness constitue une forme d'équilibrisme. 

Pourquoi?
Comme nous le voyons actuellement, il arrive régulièrement que d'énormes pertes de qualité soient à déplorer, par exemple à cause de la germination. Nous pouvons en partie compenser ces déficits car nous sommes en mesure d’incorporer des céréales importées de qualité si nécessaire. En effet, les boulangers ont besoin d'une qualité de farine relativement constante; tout comme nous, lorsque nous faisons notre pain chez nous. Pour nous, cela implique un équilibre constant, pour que nous ne fassions pas fuir nos partenaires bio étrangers et qu'ils ne se détournent pas de nous. Mais nous ne pouvons pas faire de promesses en l’air. Car que faire si nous enchaînons les mauvaises années de récolte en Suisse, avec de grosses pertes de quantité? Nous devrions peut-être alors renoncer à certains projets ou retirer des produits à cause de quantités et de qualités insuffisantes en Suisse.

Les agriculteurs doivent être payés de manière équitable.

Martin Blaser


Dans votre fonction, vous êtes certainement confronté aussi aux questions du marché?
Oui, cela en fait bien sûr partie. Je pense par exemple que les prestations de développement durable ne doivent pas être gratuites, elles doivent avoir une compensation financière. Les agriculteurs doivent être payés de manière équitable et profiter d’une très bonne année de récolte ou bénéficier d'une certaine protection en cas de mauvaise récolte. Ainsi je réfléchis aussi aux prix conseillés et aux quantités de prise en charge des céréales suisses, qui résultent chaque année des négociations de la branche. Pour la première fois, les agriculteurs et les transformateurs n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur un prix conseillé pour le blé tendre bio pour la récolte 2021. Mais je ne peux pas en dire plus pour l'instant. Je pense toutefois que certaines questions doivent être discutées: Pourquoi un prix est-il à ce niveau? Quels facteurs sont pertinents pour le prix? Par exemple, comment évalue-t-on le prix du facteur Suisse ou du facteur bio? Quel impact tarifaire ont les volumes de production, dans les bonnes comme dans les mauvaises années?

Changement de sujet: vous avez pris votre poste chez Swissmill également en tant que spécialiste du développement durable.
C’est exact. Outre les aspects relatifs au CO2, mon domaine de prédilection depuis des années, un rapport de durabilité est prévu pour 2022 selon le nouveau concept. Il s'agit d'une tâche transversale passionnante et enrichissante, qui exige des analyses approfondies, afin de comprendre les différentes dimensions d’une entreprise de production et en tirer les clés appropriées pour d'éventuelles mesures et améliorations. C’est ainsi que je connaîtrai parfaitement la minoterie, aidé par ma formation interdisciplinaire. J'ai hâte de découvrir les résultats de nos analyses.

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